Terrasses des Cévennes
Au cœur du Parc national des Cévennes, ont été construites, avec patience et courage des terrasses appelées le plus souvent "faïsses" ou "bancels". Dans cette partie du Gard (à 1km de la Lozère), c'est le mot "faïsses" qui est le plus souvent usité par les anciens et que j'ai donc choisi pour préparer cet article.
Ces ouvrages cévenols sont le reflet d’une réalité de vie très rude. Initialement, elles ont été taillées, façonnées par des générations d’agriculteurs pour parvenir à cultiver à flanc de montagne (la vigne, l’olivier, les fourrages ou les céréales) avant le refroidissement du climat du XVIème siècle (Au cours de la période 1645-1715, dans le milieu du petit âge glaciaire, il y a eu une période de faible activité solaire connue sous le nom de minimum de Maunder).
C’était un travail fait à main d’homme, de la construction des murs à la récolte des productions. Il fallait sans cesse réaménager les faïsses après les violents épisodes de pluie. Après, cette époque, la culture de la châtaigne s’est développée en même temps que celle du mûrier (principalement dans le département du Gard réputé pour l’élevage du ver à soie et son industrie textile très spécialisée).
Sur cet article, je vais vous présenter différentes faïsses. Excepté les deux plus récentes que vous saurez identifier, réalisées par des artistes bâtisseurs de notre époque et qui sont de véritables oeuvres d'art, ces faïsses ont toutes au moins 200 ans.
Du galet roulé par la rivière à l’ardoise qui se délite en plaques fines, du cailloutis au bloc, les pierres constituant ces faïsses sont très variées. Elles changent selon leur qualité géologique (calcaire, granit, schiste, etc.) et varient également par leur forme et leur volume. Leurs caractéristiques résultent du travail du temps, de l’activité volcanique, de la sédimentation, de l’érosion, des activités humaines, végétales ou animales. La maçonnerie en pierres sèches a un double rapport à cette diversité : d’une part, elle s’y adapte en variant la façon de maçonner et d’appareiller les pierres ; d’autre part, elle l’utilise en attribuant à chaque pierre une fonction technique spécifique dans la maçonnerie selon sa qualité, sa forme et sa taille.
Les pentes des Cévennes sont abruptes, sapées par les eaux de pluie, aussi pour les rendre cultivables, les paysans cévenols pratiquaient un mode de culture particulier, en soutenant terrasses sur terrasses par ces murailles de pierres sèches (de 70 à 90 cm de largeur et de hauteur variable), sur lesquelles ils portent de la terre pour pouvoir semer et planter.
Ces faïsses aménagées sont les principaux et émouvants témoins de l'intense mise en valeur et de la sculpture des Cévennes par les hommes.
Il a fallu créer ces paysages de toutes pièces bien avant même de commencer à songer aux récoltes. Ainsi de générations en générations l'homme a gagné ses lopins de terre cultivable sur la montagne. De père en fils, le paysan cévenol remontait sur son dos la terre que les pluies s'acharnaient à redescendre. Ils la portaient dans un "saccol" (sac bourré de paille attaché sur la tête et les épaules, servant à porter les fardeaux). Le travail de terrassiers était ardu et demandait beaucoup de ténacité, de là, le proverbe local : "Il n'est rien dont on ne vienne à bout avec la persévérance et le saccol".
A cette époque, la moindre parcelle de terre avait une importance capitale, aussi le moindre petit bout de terrain était utilisé et cela donnait des constructions intéressantes et pittoresques. On les découvre toujours un peu partout au hasard de nos promenades.
Ces faïsses étaient construites uniquement avec les pierres trouvées sur place. Parfois on bâtissait un abri dans le mur (photo ci-dessous). Sur les hauteurs des villages on utilisait une pierre qui est presque plate, tandis que plus bas près de la rivière, on y mélangeait des pierres rondes trouvées près de l'eau (mélange de schiste et granit). Des marches d'escalier permettaient de circuler d'un niveau à un autre.
Malheureusement aujourd'hui certaines de ces faïsses se dégradent et la terre redescend emportée par la pluie et les orages. Les sangliers à présent en surnombre et à la recherche de nourriture peuvent être aussi à l'origine de leur dégradation. Cependant les Cévenols amoureux de leur environnement continuent de les entretenir, de les reconstruire ou de les faire reconstruire (ce qui est le cas dans le hameau pour ceux détruits par les Sangliers). Des Maîtres-artisans (souvent en association) travaillent ainsi pour la restauration du patrimoine paysager local.
Rares en Cévennes sont les demeures ayant un terrain attenant, et qui plus est, jouissant d'une assez vaste surface relativement plate. Même si tel est le cas, elle sera pourvue d'au moins deux faïsses.
Sur la photo du dessous, à 20 mètres en amont de cette faïsse, il y en a deux autres, espacées l'une de l'autre d'une vingtaine de mètres également et se trouvant dans la forêt. Le but de ces trois faïsses est, même lors des pires épisodes cévenols, de retenir l'eau afin de préserver des inondations le terrain et la demeure se trouvant en aval et bâtie en 1836 (la mienne en l'occurrence ;-), et cela fonctionne parfaitement bien. Les écoulements de l'eau de pluie ont été ainsi savamment dirigées par l'homme sur l'ensemble du hameau. C'est pourquoi on voit souvent autour des villages et hameaux dans les montagnes cévenoles des faïsses même en pleine forêt.
L’art de la construction en pierre sèche remonte à la nuit des temps. Il consiste donc à bâtir sans liant de mortier ou ciment, soit en posant les pierres en équilibre les unes sur les autres, soit, le plus souvent en Cévennes, en les calant avec un liant naturel de petit cailloutis et de terre. Cet équilibre prend en compte la morphologie de la pierre, son poids, celui de la structure, mais aussi les forces qui vont s’exercer sur l’ouvrage afin de lui assurer la pérennité. Ce puzzle géant en trois dimensions qui s’apparente à un jeu de patience nécessite d’avoir "l’œil et le toucher" permettant d’appréhender le mieux possible les différents volumes et reliefs de la pierre.
Le mur en pierre sèche est très solide. Il peut résister des dizaines voire des centaines d’années, aussi bien aux vibrations des secousses telluriques, qu’à celles du trafic routier quand c'est le cas et aux pressions de l’eau de pluie et des inondations.
Sur la photo du dessus, un escalier bâti a flanc de roche accédant à une demeure elle-même bâtie sur la roche.
Mieux vaut avoir le pied sûr et ne pas rentrer chez soi de nuit et un peu éméché ;-)
Les ouvrages en pierre sèche sont le plus souvent esthétiques. Pour celui qui les a fait, ces ouvrages ont rendu "bon le pays". Pour celui qui aime les regarder aujourd’hui, ils structurent la qualité d’un paysage et enrichissent la beauté d’un site. Certains Maîtres-bâtisseurs réalisent des murs particulièrement esthétiques et même artistiques.
Durant les épisodes cévenols, ces faïsses permettent donc de laisser s’écouler l’eau entre les pierres, grâce à l’absence d’un mortier étanche. Le mur de soutènement en pierre sèche retient la terre tout en permettant aux eaux de pluie de s’écouler en ralentissant leur cheminement et constituant ainsi une prévention aux risques d’inondations. De mémoire d'anciens, jamais les demeures de montagne ne se sont retrouvées les pieds dans l'eau contrairement à ce qui se produit régulièrement dans les vallées lors de ces épisodes.
En cas de sécheresse, ces mêmes faïsses servent de rétenteur d’eau dont la restitution est différée dans le temps (la terre sèche en surface mais reste humide en profondeur). La terrasse de terre, retenue par la faïsse, joue alors un peu le rôle d’une grosse éponge et permet de limiter l'arrosage des cultures.
En Cévennes, il est dit que "ce qui est bon à faire est souvent beau à regarder" donnant ainsi de la qualité à la vie de l’homme. La construction en pierre sèche permet un travail utile, fécond et créatif pour le constructeur et pour l’utilisateur, que ce soit pour l’agriculteur qui retrouve des terres arables ou le particulier qui se repait de la qualité de l’exécution, des formes et des couleurs.
La pratique de la pierre sèche permet la restauration de tout un patrimoine vernaculaire : murs de soutènement, escaliers, niches, cabanes et abris agricoles des montagnes, calades, mur de clôture, etc. Ce patrimoine constitue une mémoire locale et une immense richesse culturelle.
Bien que très développée en Cévennes, la construction en pierre sèche se retrouve dans le monde entier et remonte à l’âge de fer (1200 av. J.-C.). Ce savoir-faire s’est développé avec l’activité agricole. La technique s’impose en France principalement du XVIe au XIXe siècle afin d’optimiser l’aménagement et l’exploitation des terres et des chemins.
De nos jours c'est un terroir unique, un paysage exceptionnel avec des terrasses à entretenir, et, avec la prise de conscience de l'importance de la production en local, à reconquérir. Des rotations culturales faites pour durer. Une offre s’articulant essentiellement autour de quatre productions fruitières ou légumières qui s’inscrivent dans l’histoire du pays cévenol et qui jouent un rôle essentiel dans la cohérence territoriale. Ainsi : les oignons doux et les pommes de terre sont cultivés sur les terrasses, les pommes dans les vallées, les châtaignes sur les pentes les plus raides et les sols les plus pauvres.